La théorie du simple appui

Dans l'art martial traditionnel chinois, on entend souvent l'adage "le double appui est une maladie" (shuangzhong zhi bing). Cette notion de simple et double appui est redondante dans la théorie des boxes chinoises et Wang xiangzhai en avait fait un des piliers technique de son enseignement.

Dans son ouvrage "Quandao zhongshu" (Points essentiels de la voie de la boxe) connu sous le nom de "traité du dachengquan" (Dachengquan lun), un chapitre intitulé "Simple appui, double appui et reproduction en forme" nous en expose les grandes lignes (traduction personnelle) :

"Selon la théorie antique de la voie de la boxe (quandao), que ce soit à l'entrainement ou au combat, il faut garder en permanence un équilibre de tout le corps pour une réalisation correcte. Si le pratiquant ne respecte pas cet équilibre, c'est qu'il copie un modèle visuellement et, alors, la force n'est plus en harmonie avec le corps. Copier une forme de l'extérieure ne permet pas d'avoir de résultat sur l'esprit (shen), la forme (xing), l'intention (yi) et la force (li) et de plus, l'art devient, ainsi, unilatéral. Cette façon de faire n'est pas bonne pour la santé et, en outre, elle permet à n'importe qui de prendre facilement le dessus en confrontation. Les personnes étudiant la boxe doivent bien retenir ceci.

L'équilibre véritable n'est pas raideur. Il faut abolir la raideur. Celle-ci rend maladroit et entraine le grand défaut de double appui (maladie du double appui)"

Dans le même chapitre Wang xiangzhai s'exprime, quelques lignes, plus tard en ces termes :

"De nos jours, les écoles de boxes pratiquent quasiment toute un simple appui incomplet : Lors des déplacement, il devient double appui total ! "




Tian xiuzhen, disciple de Chen fake, démontrant sa forme de Taijiquan, notez le déplacement de son centre de gravité



Dans son ouvrage sur les principes du duanshou, il en parle assez clairement (traduction personnelle) :

"Tous les arts de combat accordent une grande importance aux déplacements. La maîtrise des déplacements dépend de la maîtrise du centre de gravité corporel. D'après mes quelques dizaines d'années d’expérience dans la pratique, le fali en appui de 70% du poids du corps sur une jambe et 30% sur l’autre est la clé pour vaincre l'adversaire au combat. Le fali puise son énergie dans la verticalité de la pesanteur et mon corps devient le vecteur qui permet d’en définir la direction. Sans appliquer ces principes, impossible de le réaliser. Pour qu’il soit réalisé avec le maximum d’efficacité, je dois pouvoir disposer de toute ma musculature donc être dans en état « hors tension » avec l'esprit vide. Puis, contractée en une fraction de seconde, cette force peut atteindre mon adversaire.

C’est ainsi que l’on peut maîtriser le passage de la décontraction à la contraction sans qu’il n’y ait de temps mort. Lorsque la force arrive au bout de l’action, l'intention ne s’arrête pas pour autant. Et lorsque l’intention s’arrête, l'esprit continue à garder la liaison, toujours et encore, l’idée principale restant inchangée. Cette méthode de fali, presque étrangère aux autres écoles de boxe, est un fleuron antique des arts martiaux. Je la qualifie de « retour à la source antique ».
S'il n'y a pas de fali en simple appui, on ne pourra pas atteindre l'adversaire avec la force homogène et intégrale. Dans le combat, la tension correspond à l’action et la décontraction correspond au fait de se contenir. Se contenir et agir répondent au même principe. De même, la tension et la relaxation sont des notions réciproques. Ce qui est important pour savoir se contenir ou agir, pour comprendre la tension et la relaxation, c'est l'usage réciproque du vide et du plein.
Pour faire fali en avançant, la proportion du poids du corps sur les jambes est de 30% sur l'avant et 70% sur l'arrière, vide à l'avant et plein à l'arrière. Pour le fali en reculant, c'est 70% sur l'avant et 30% sur l'arrière, plein à l'avant et vide à l'arrière. Plein ne veut pas dire lourd, il y a aussi du léger dans le ferme, et vide ne signifie pas forcément qu’il s’agit d’un point faible ou sans force car on y trouve également de la fermeté."


La notion de simple et double appui est donc en rapport avec l'équilibre et la gestion du centre de gravité mais également avec le déplacement et la disponibilité. La façon de gérer les appuis au sol par rapport au centre de gravité ainsi que l'utilisation de la pesanteur en sont des éléments importants. Les différentes écoles de boxe chinoise, lorsqu'elles sont correctement exécutées, travaillent toutes en respect de cette règle fondamentale.

Et si cette règle prohibant le double appui a été quelque peu délaissé dans certaines écoles, elle reste néanmoins une des caractéristiques permettant d'atteindre un véritable gongfu et de nombreux maîtres mettent encore un point d'honneur à l'enseigner.



Bai yucai, de l'école Cheng de baguazhang : Simple appui total dans les déplacements et en application




Dans le vocabulaire occidentale, la notion de simple et de double appui pourrait être traduite par celle "d'équilibre". En revanche, tout équilibre étant relatif, il est nécessaire de concevoir cette notion en prenant en compte les différentes contraintes à dépasser : la propagation de cet équilibre à tout l'ensemble du corps dans l'espace et dans le temps, quels que soient le moment, le type de déplacement, l'état d'esprit, les forces extérieures s'exerçant sur ce corps...

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