Histoire de l'art martial : Gongfu et spiritualité
Les personnes qui maitrisaient les arcanes de l'art guerrier en Chine furent, tout d'abord, des militaires. Puis, en réponse aux différentes invasions qui occupèrent le territoire pendant des siècles, cet art guerrier se retrouva dans les campagnes et les monastères et une transmission commença à s'y développer. De plus, la tradition chinoise antique, associée aux pratiques du taoïsme primitif, s'y mela tant dans la théorie que dans la pratique. Ce qui ammena probablement une autre façon de pratiquer, en accord avec les principes de conservation et de développement du souffle vital.
Les deux courants majeurs de la spiritualité en Chine, que sont taoïsme et bouddhisme, furent associés à la pratique de l'art martial assez tôt dans l'histoire de la Chine pour des raisons politiques : Différents monastères virent leurs moines être intégré à des troupes militaires afin d'en renforcer les effectifs. Ces moines participèrent donc à des batailles historiques en tant que soldat des troupes régulières. Les plus sollicités dans l'histoire furent, sans doute, les moines de Shaolin qui participèrent, dès le 7ème siècle de notre ère, à la vie politique et militaire de l'empire. Une faction de moine aida alors le futur empereur des Tang, Li shiming, à vaincre le rebel de la dynastie Song, Wang shizhong. Ils prirent d'assault un fort dans lequel s'était réfugié le neveu de Wang shichong et ses hommes, puis le livrèrent à Li shiming. Un stèle fut officiellement érigé au monastère en 728 pour rappeler ce fait et le monastère reçut, à partir de ce moment, un traitement de faveur impérial (fonds versé par l'empire). Cette stèle identifie, de plus, treize moines, qui furent distingués en héro et reçurent des titres impériaux dont celui de général en chef pour l'un d'entre eux.
Mais, si l'histoire du monastère de Shaolin fut associé à l'hitoire militaire dès le 7ème siècle, la pratique de l'art militaire n'y apparu probablement que beaucoup plus tard. L'époque ou le monastère devint un véritable "centre d'entrainement militaire" se situant plutot au 17è siècle.
"L'exposé sur la méthode originel du baton de shaolin" (shaolin gunfa chan zong) est le plus ancien manuel existant sur l'art de Shaolin (1610). Cheng zongyou, son auteur, fut un lettré passionné d'art militaire qui laissa à la postérité, en plus de ce manuel, un traité sur l'archerie ainsi qu'un traité sur l'utilisation de la lance, de l'épée et de l'arbalète. Sa connaissance de l'art du baton de shaolin était fondé sur sa propre expérience : il aurait séjourné au monastère pendant dix années à une époque où les frontière de l'empire Ming subissaient régulièrement les assaults des peuples des steppes du Nord. Dans cet ouvrage, on apprend que le monastère enseigne, à cette période, la doctrine bouddhiste et le baton conjointement. Pour décrire la maîtrise de l'art du baton, Cheng zongyou utilise un vocabulaire teinté de spiritualité :
"Si mon livre peut servir de radeau à des camarades ayant les mêmes vues que moi pour leur permettre d'atteindre l'autre rive, si on l'utilise pour renforcer l'état et pacifier ses frontières, alors, outre la diffusion et l'apologie de l'enseignement de mes maîtres, j'aurais atteind un but supplémentaire."
L'image du radeau permettant d'atteindre l'autre rive est souvent utilisée dans le bouddhisme pour faire allusion à la méthode permettant d'atteindre l'illumination...
Plus tôt dans son ouvrage, il parle, d'ailleurs, d'une soudaine illumination obtenue après une pratique assidue des techniques enseignées par un de ses maîtres. Ici, l'illumination doit être entendu au sens de "maîtrise" (gongfu).
Extrait du "Shaolin gunfa chan zong" de cheng zongyou
La présentation du monastère de Shaolin par Cheng zongyou est également interessante : il dit qu'il se situe "entre le wen et le wu".
En Chine, l'idée de la complémentarité du wen ("monde de l'étude", connotation littéraire et intellectuelle) et du wu ("monde martial", connotation physique et guerrière) est ancestrale. Elle est l'équivalent du "men sana in corpore sano" latin (un esprit sain dans un corps sain). Cette idée est également à la source des pratiques primitives de la Chine antique : les techniques du souffle vital taoïstes. Ces techniques n'isolent pas le corps de l'esprit puisque l'homme est traditionnellement considéré en Chine comme "entre ciel et sol", soit à cheval entre le monde matériel (physique) et immatériel (spirituel). Ainsi, la spiritualité de la Chine primitive s'était basé sur un développement conjoint du corps et de l'esprit.
La spiritualité n'est, en fait, pas plus associé aux pratiques martiales qu'elle ne l'est avec les autres pratiques artistiques ou artisanales. Ces pratiques nécessitant une implication de l'être dans sa totalité (physique et psychique) afin de parvenir à un niveau d'accomplissement, le gongfu.
L'expression "gongfu", souvent mal interprétée en occident est d'ailleurs applicable à toute personne ayant atteinds un niveau de réalisation dans un domaine quelconque. "Gong" signifiant "travail" et "fu" signifiant "homme accompli". On dira, par exemple, d'un artisant menuisier, qu'il a un bon gongfu lorsqu'il a dépassé les limites de son domaine...
Ainsi, l'association entre art martial et spiritualité n'apparait plus de manière aussi évidente. Et si, historiquement, des moines de divers courants religieux eurent accès à un enseignement militaire en Chine, cette association avait souvent un but purement pratique et dénoué de toute connotation spirituelle. En revanche, la recherche de la perfection dans un domaine artistique ou artisanal est considéré en Chine comme un moyen pour l'homme de se réaliser. La pratique de l'art martial devient, dans cette idée, une voie (Dao) menant à la réalisation de l'homme (gongfu)...