Interview de Cui ruibin (4ème partie)


Q : Vous nous avez précédemment parlé de votre apprentissage avec monsieur Yao zongxun dans son ensemble. Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur la façon dont il enseignait le tuishou et le combat ?

CRB : A l'époque, à part mes entrainements avec maître Yao, je faisais régulièrement des petits combats avec un groupe de personnes de mon usine. Un jour, maître Yao m'a vu combattre avec un autre élève chez lui et il m'a dit : " Ils servent à quoi tous ces beaux mouvements ? Restes-en juste à la base pour l'instant ! " Bien après, lorsqu'il considera que j'avais la base, il m'a laissé expérimenter un peu. A cette époque, il m'a dit : " Premièrement, il faut être déterminé. Si tu vois que tu peux le toucher, alors fais le. Préoccupes toi seulement de parvenir à le toucher à ce moment. Une fois que tu aura cette base, alors tu pourras te soucier des autres détails."

Q : De quel genre de détails voulait-il parler ?

CRB : Il voulait parler des feintes et des appels, avec les pieds et les mains, dans les déplacements ou même juste avec l'esprit. Le plus haut niveau étant, bien entendu, de feinter juste avec l'esprit. Et puis, il y a aussi une façon d'envelopper l'adversaire avec l'esprit (shenguang longzhao). Lorsque vous avez la possibilité d'utiliser ces éléments en combat, les choses deviennent plus riches et complexes. Maître Yao m'a appris à combattre dans différentes situations : Que faire quand vous avez beaucoup de place, lorsque vous êtes à l'étroit, lorsque votre adversaire vient vers vous de tout son élan ou bien comment le forcer à faire un mouvement lorsqu'il est en train de reculer...
Avant 1981, maître Yao faisait beaucoup de tuishou et de combat avec moi. Après 81, on en faisait encore mais surtout, après le combat il m'expliquait se qui se passait la dedans. Il y eu une période ou il avait décrété que je n'avais le droit de donner que 3 coups de poing par "round", qui étaient de 3 minutes, et ce dans le but de me faire améliorer mes déplacements, mes mouvements et ma capacité d'attaquer au bon moment.

Q : Lorsque monsieur Yao zongxun combattait avec vous, essayez-vous véritablement de le vaincre ?

CRB : Oui, dès que j'en avais l'opportunité, je projettais ma force (fali), essayant d'envoyer le vieil homme valdinguer une bonne fois pour toute (rire) ! La folie de la jeunesse, je pense. Dès que j'envoyais mon attaque, maître Yao se contractait très bièvement, et j'avais alors l'impression de toucher "quelque chose" de vraiment lourd. Et puis, à peine cette sensation était-elle éprouvée qu'elle était remplacée par une autre, celle que cette "chose" était comme balayée par le vent. Je pense que c'est de cela que parlent les textes lorsqu'ils disent : "La force gonfle comme une mer qui déborde, le corps bouge comme une montagne qui vole". Son contrôle de la tension, du mouvement et de son ampleur était incroyable à expérimenter. En combat (sparring), j'ai également essayé de le vaincre de toutes mes possibilités mais je n'arrivais pas à le toucher. Souvent, je sentais que mon poing avait déjà touché la cible mais c'était alors comme s'il ne faisait que l'éffleurer, il n'y avait pas d'endroit où appliquer ma force. Le plus étrange est qu'il n'avait même pas besoin de bouger très rapidement pour cela, ses deux grandes mains se retrouvaient toujours devant mon visage. Quoi que je fasse, et même si j'essayais de feinter de quelques manières, c'était comme s'il lisait dans mes pensées, ses deux mains étaient toujours là à m'attendre.





Cui ruibin enseignant le combat libre à son élève Ilias Calimintzos



...

Q : On entend souvent parler de la formidable "force pénétrante" du yiquan. Est-ce que monsieur Yao zongxun avait établi des règles pour relever les défis ?

CRB : Au début, il n'y avait pas de règle. Et puis après quelques incidents, maître Yao a mis des règles en place. Ca a commencé comme ça : l'après-midi du 25 avril 1982, il y eut une compétition de sanda au stade de shijingshan. A cette occasion, il n'y avait eut personne à se présenter dans ma catégorie de poid, donc j'étais venu avec quelques camarades pour démontrer les capacités du yiquan en combat. Après la compétition, alors que presque tout le monde était parti, un des coach du nom de Yang yongde, vint me voir et me dit que quelqu'un voulait combattre contre moi et me demandait si j'acceptais le challenge. Plusieurs personnes sont alors venu me voir en me disant que cette personne avait beaucoup d'expérience et que même pendant la compétition, il n'avait cessé de dire qu'il voulait combattre contre tel et tel maître et que si j'acceptais le défi, je ne devrais pas me retenir. Donc, après avoir entendu ça, j'ai accepté le défi. Il exigea alors que nous portions des gants et j'en ai donc enfilé une paire. C'était ceux qui étaient réglementaire pour le sanda à l'époque et on pouvait les utiliser en saisie. Je lui ai dit : "Frappes moi avec tout ce que tu veux. Moi je n'utiliserai que mes mains. pas de coups de pieds)" Au début, il me lança plusieurs feintes mais sans rien dedans, auquelles j'ai répondu par une feinte haute. Il a alors réagi aussitot en s'abaissant et, alors qu'il allait se relever, je l'ai frappé du tranchant circulaire "xiaozhang" sur la nuque. Il en est tombé le cul par terre. Assis sur le sol avec le visage livide et la respiration halletante, il essayait de retirer ses gants. Alors en voyant ça, j'ai commencé à le charier en lui disant : "Qu'est-ce-que tu fais là ? Si tu peux même pas encaisser ça, comment est-ce que tu te permets de lancer des défis à tout le monde en permanence ? " Lui, restait sans voix. Un de ses amis vint l'aider à se relever et à peine avaient-ils quitté le stade qu'il s'éffondra et demanda à être transporté aux vestiaires. Ca lui a pris 4 heures pour récupérer.
Le lendemain, j'ai parlé de cet incident à l'entrainement et c'est parvenu aux oreilles de maître Yao. Il a alors agité son doigt en me disant qu'à partir de maintenant je n'avais plus le droit d'accepter de défis sans sa permission. Et il m'a dit : "Imagines un peu que tu l'ais tué ? Même 10 personnes comme celle-là ne valent pas le coup d'être sacrifier pour une seule comme toi ! " Il avait peur que je continue à agir durement comme cela et que je finisse, tot ou tard, par avoir des ennuis et, alors, toutes ces années à m'enseigner auraient été perdues.





Cui ruibin à l'entrainement au combat avec Yao chengguan





Q : Les gens ont pour habitude de vous désigner comme le "costaud" de monsieur Yao, n'est-ce pas ?

CRB : Oui, c'est vrai. C'est surement aussi que j'ai eu plus d'opportunités d'accepter des défis que ne l'ont eu mes frères de pratique. En 1981, un quotidien de Shanghai publia un article d'un maître de l'art martial dénommé Wang et qui clamait avoir défait Wang xiangzhai en combat à Yantai en 37. Maître Yao me demanda alors de prendre un congé pour me rendre avec lui à Shanghai, ce que je fis. Nous avons alors rencontré l'éditeur du journal et maître Yao lui a dit : " D'après mes connaissances, Wang xiangzhai ne s'est jamais rendu à Yantai. Comme ce maître Wang dit l'avoir battu en combat, j'aimerais le rencontrer pour avoir plus de détails. Comme je n'ai plus beaucoup pratiqué ces dernières années, étant envoyé à la campagne, j'ai également ammené un de mes disciple afin que nos élèves puissent comparer leurs niveaux s'il le désire." Ce monsieur nous dit alors qu'il avait remanié l'article en l'épurant car le premier jet était encore plus exagéré et qu'une rencontre serait possible. Il se retourna alors et se mit a crier "Maître Wang, maître Wang". Mais celui-ci avait disparu ! Le responsable du journal, déboussolé, nous dit alors qu'il ne comprenait pas, que le maître Wang en question se trouvait là à notre arrivée. Messieurs Gu liuxin, responsable de l'association d'arts martiaux de la ville de Shanghai, et Cai longyun, responsable du departement wushu de l'institut d'éducation physique de Shanghai, organisèrent un banquet auquel fut invité ce maître Wang afin qu'il puisse discuter avec maître Yao zongxun. Mais il ne s'y présenta jamais. Nous avons même fait des recherches pour savoir dans quel parc il enseignait, mais nous ne l'y avons jamais trouvé non plus. Pour clore l'incident, le même quotidient publia un article de Zhang changxin sur le bruit que fit Wang xiangzhai lorsqu'il commença à enseigner à Shanghai. En 1985, après le décès de maître Yao, je rendis visite à mon "oncle" Zhao daoxin. Dès que je suis arrivé chez lui, il m'a dit : " Alors, mon garçon, que de péripéties ! " Lorsqu'il m'a dit ça, j'ai compris qu'il mentionnais le séjour à Shanghai à la recherche de ce maître Wang. Etonné que maître Yao lui en ai parlé, il me répondis qu'avant notre départ, il était venu lui rendre visite à Tianjin pour en discuter avec lui. Qu'au début, il lui avait déconseillé de se rendre à Shanghai, lui disant que Wang xiangzhai nous avait déjà quitté depuis longtemps et que ça ne servait à rien de discuter avec ce genre de personne. Puis il m'avait finallement dit que maître Yao avait toujours été un véritable porte drapeau et qu'il avait donc réagit en tant que tel.






Zhao daoxin (au centre), Yao zongxun et Li wentao




Q : Même de nos jours, il y a des gens qui affirment dans des magazines ou sur internet avoir vaincu Wang xiangzhai.

CRB : Je sais. Les gens qui portent ces affirmations sont tous morts aujourd'hui. Dans ce sens, je suis assez d'accord avec maître Zhao, on ne devrait pas porter attention à ce genre de propos. D'ailleurs, je n'affirme pas, non plus, que Wang xiangzhai n'a jamais été vaincu. N'importe quel artiste martial peut avoir un mauvais jour et personne n'est né grand maître ! Wang xiangzhai a même raconté à ses disciples les fois ou il s'est fait vaincre, où et comment ça s'est passé. Mais les gens ne devraient pas inventer des histoires pour se mettre en avant, d'ailleurs, en fin de compte, ça ne tient souvent pas la route.
Si on voit les choses de manière objective, même ces personnages qui sont devenus par la suite de grands maîtres eurent des jours de faiblesse, lorsqu'ils furent ailleurs ou bien même lorsqu'ils sous-estimèrent leur opposant. Ce genre de chose arrive beaucoup. Beaucoup de gens n'arrivent pas à admettre que leur professeur, ou le professeur de leur professeur, perdit une fois parcqu'ils se sont investi émotionnellement dans une idée. Ils pensent que la défaite de leur shifu signifie que leur style ne vaut rien. En réalité, ça ne marche pas comme ça. Ce n'est pas parceque quelqu'un perd une fois qu'il n'a pas de gongfu ou que son style n'est pas valable.
Même mohammed Ali n'a pas remporté tous ses combats. Pourtant, il est toujours reconnu comme un des plus grands boxeurs de tous les temps. La façon d'accéder au gongfu d'un artiste martial consiste en l'expérimentation de ce qu'il a laissé derrière lui. Mon point de vue est que si l'on est sérieux dans l'étude de l'art martial, on doit mettre tous ses efforts dans l'investigation de ce que les générations précédentes nous ont laissé ainsi que dans l'enseignement aux générations suivantes. Vous devez être capable de les transformer en véritables combattants qui pourront relever le test du combat réel. C'est ça la véritable voie.





A suivre...

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