Les mystères du tombeau de Guo yunshen
Le maître Guo yunshen, bien qu’ayant vécu à la fin du 19e siècle, fait parti des quelques maîtres légendaires de l’art martial dont la renommée a rayonné en dehors du pays du milieu, jusqu’en occident.
Il émane de cette figure historique du Xingyiquan un ensemble de récits et de légendes propres à la culture chinoise dont il est assez difficile de démêler le vrai du faux.
En réalité très peu de courants ou de maîtres reconnus se réclament de sa filiation et, lorsque c’est le cas, le lien de filiation n’est presque jamais direct.
Les maîtres de l’art martial les plus connus ayant clamé sa succession furent Qian yantang, Li kuiyuan, Sun lutang, une figure majeure de la communauté des artistes martiaux du début du 20e siècle et Wang xiangzhai, un ovni de cette même communauté dont certains vont même jusqu’à douter de sa filiation.
Très peu de documents écrits nous permettent aujourd’hui de confirmer quoi que ce soit au sujet du maître Guo yunshen. Sa pierre tombale, elle même, étant auréolée de mystère et mettant en évidence un certain nombre d’incohérences historiques et théoriques sur ce que l’on croyait savoir de l’existence du maître.
拳法大师郭云深先生之墓,民国二十一年 十月毂旦,众门下及诸同人等敬立
Cette pierre tombale était parfaitement inconnue du grand public jusque dans les années 90. En 1987, le célèbre maître Li ziming demanda à une association de retrouver les tombeau des maîtres Che yizhai et Guo yunshen dans le but d'obtenir des précisions sur les dates de naissances et de décès de ces deux maîtres du Xingyiquan, tout deux disciples de Li luoneng (Li laoneng). En sa qualité de chercheur, Li ziming souhaitait recueillir plus d'informations sérieuses sur ces deux grands maîtres de la fin du 19e siècle. C'est donc Sun changjiang, président de l'association d'arts martiaux de la ville de Hengshui, dans le Hebei, qui avait mené ses recherches. Celui-ci avait du passer par plusieurs relations pour arriver jusqu’aux bourgs de Dong'anzhuang puis de weilin (魏林村), lieu où le maître Guo yunshen avait vécu (et lieu de naissance du célèbre Wang xiangzhai). Grace a l’aide de l’association locale de pratiquants d’arts martiaux, il avait pu rencontrer les descendants de Guo yunshen en les personnes de Guo wanzhang, Guo wanyuan et Guo heixiao, tout trois âgés de plus de 70 ans à l’époque. Ceux-ci lui expliquèrent alors que la stèle en question avait été abattu et enterré au moment de la révolution culturelle, pendant la période des « 4 vieilleries » (四旧). Pendant cette sombre époque, tout ce qui entretenait un rapport de près ou de loin avec les ancêtres ou la tradition chinoise (les 4 vieilleries étaient les vieilles idées, les vieilles coutumes, les vieilles habitudes et la vieille culture) était considéré comme contre-révolutionnaire et détruit. Les cadres locaux s’en étaient ainsi pris à toutes les anciennes pierres tombales édifiées selon la tradition en l’honneur d’une personnalité importante. Les stèles étaient détruites et les pierres étaient utilisées pour la construction d’un barrage. Les disciples et les proches du maitre Guo yunshen avaient alors décidé d’enterrer sa stèle pour la sauver de cette destruction. Le projet du canal une fois abandonné, la pierre qui avait été abattue et déplacée près du projet du canal, fut enterrée non loin de là, dans un champs. Après toutes ces années personnes ne se souvenait exactement de l’endroit où elle se trouvait ensevelie. La stèle pouvait être décrite par ceux qui l’avaient vu avant cette époque et on savait donc à quoi elle ressemblait, mais elle n’avait jamais été retrouvée depuis. Des pratiquants locaux de l’art martial, descendant du maître Guo yunshen, confirmèrent ces dires.
Le groupe se rendit alors au village de Xima, où avait vécu le beau-père de Guo yunshen, sachant que le maître avait également vécu dans ce village. Là, les chercheurs firent la rencontre de Li zhanma, le fils de Li bao qui avait été un des proches disciples du maître. Ce monsieur leur expliqua alors que Guo yunshen avait finit ses jours dans ce village car son beau père n’avait pas eu de descendants et qu’il s’était donc installé dans sa maison à sa mort. Selon lui, le maître était mort de vieillesse dans le village de Xima et c'était Li bao, son père, qui, en tant que proche disciple, avait porté son cercueil jusqu’au bourg de Dong'anzhuang, où il avait été inhumé. Au bourg de Weilin le groupe de chercheurs appris également d'un pratiquant descendant de son enseignement que Guo yunshen n'avait jamais eu d'enfant mais qu'il avait eu un fils adoptif, Guo yuan (郭园), décédé depuis. Mais en revanche, de toutes les personnes qui avaient été rencontré par le groupe de chercheur, personne ne fut capable de donner de dates fiables concernant la naissance ou le décès du maître.
En 1993, un petit groupe mené par un pratiquant descendant de la 4e génération après Guo yunshen entreprit de sonder le sol dans une zone qui avait été définie et creusée sur un mètre de profondeur. En perçant le sol ils finirent par trouver quelque chose de dur dans le sol : la stèle cachée depuis 20 ans venait d'être retrouvée !
L'équipe déterrant la stèle 20 ans après son ensevelissement
La pierre tombale fut remise sur pied au village de Dong'anzhuang. Malheureusement elle fut par la suite déplacée à plusieurs reprises et finalement laissée au sol pendant des années, oubliée de tous...
En 2009, j'avais été contacté par Yohan qui venait d'arriver en Chine pour y enseigner. Il était pratiquant de Xingyiquan et de Yiquan et il souhaitait se rendre sur les tombes de Wang xiangzhai à Pékin et de Guo yunshen au Hebei. Je lui avais donné les indications permettant de se rendre su la tombe de Wang xiangzhai au cimetière des personnalités de Pékin et lui avait envoyé une photo nette de la stèle de Guo yunshen que je tenais d'un livre sur le Yiquan publié à Hongkong à la fin des années 90. Je lui avais également communiqué le nom du village natal de Wang xiangzhai où je pensais que la stèle devait se trouver. En Juillet 2011, après une longue recherche Xavier Garnier fini par retrouver cette stèle au Hebei. Elle avait été abandonnée dans la cour d'un lotissement et était en assez mauvais état.
L'épitaphe gravée sur la stèle est la suivante (traduction personnelle) :
郭云深先生之墓 拳法大师
拳师云深郭公深县东安庄村人生平尚义侠喜拳棒寻师访友交游几遍燕南嗣得岳武穆六合义拳拳谱简练揣摹深得义拳秘奥四方之闻名而至者一经比试莫不甘拜下风咸归门墙当日之得一鳞晰一翼类皆能跃能飞高出少林万万第以提倡燕人致令义拳灵爽垂翅迥溪不获奋翼海池际兹否泰交关如蒙各界伟人分神提倡于体操旧套中添设武林义拳一科国家无事则为学校健男有事即疆场硬旅强国 剪一基础其在兹斯与兹者及门诸人各捐资时树碑表墓征文于余因涤笔 制之以志不朽莲叟清虚子撰并书
拳法大师郭云深先生之墓,民国二十一年 十月毂旦,众门下及诸同人等敬立
"Tombeau de monsieur Guo Yun Shen, grand maître de boxe.
Le maitre de boxe Guo yunshen était originaire du bourg de Dong’anzhuang, situé dans le district de Shen. Homme chevaleresque féru d'art martial, il chercha maîtres et relations amicales en tous lieux et se fit de nombreux amis. Voyageant au sud du Hebei, il hérita du manuel du Liuheyiquan (Boxe de la justice en six harmonies) de Yue wumu (Yue fei). Il en retira une compréhension simple et profonde, perçant ainsi les secrets de la boxe de la justice. De tout ceux qui vinrent se mesurer à lui, ayant entendu sa réputation qui s'étendait aux quatre coins du pays, aucun ne repartit sans reconnaitre sa défaite et devenir ainsi son élève. Ceux qui étudiaient avec lui devenaient rapidement capable de bondir et de voler, dépassant Shaolin mille fois en hauteur. Il encouragea les habitants du Hebei à développer la boxe de la justice, mais, tout comme les ailes d'un oiseau qui s'affaissent dans le courant ne peuvent se déployer, les grands hommes de tous horizons qui avaient étudié cette boxe finirent par perdre son esprit, ne s'attachèrent finalement qu'à sa forme et ne diffusèrent que ses enchaînements. La boxe de la justice est pourtant d'une utilité publique : Quand le pays est en paix, elle permet de renforcer la santé des hommes. Au contraire, s’il y a la guerre, elle peut servir au champ de bataille et rendre la nation plus forte.
Les disciples du maître et ceux qui défendaient ces idées ont tous contribué financièrement à cette stèle. J'ai pris mon pinceau, écrit puis gravé ce texte pour commémorer l'immortalité du maître. Signé le vieillard Lian (Lotus) dit le maître "pureté du vide".
Commémorée respectueusement le 1er jour d'octobre 1932 par tous ses disciples et ses proches."
On peut voir que le texte de l'épitaphe comprend un certain nombre d'informations contradictoires. Le plus frappant étant que le nom Xingyiquan, la célèbre boxe dont le maître Guo yunshen est un représentant reconnu, n'est cité à aucun moment dans ce texte. Même la référence au Liuhequan, la boxe des six harmonies qui est connue comme une des sources historiques du Xingyiquan est ici nommée Liuheyiquan, en employant un caractère qui n'est jamais utilisé pour cette boxe : Le caractère 意 (intention) a été remplacé par le caractère 义 (justice), son parfait homophone. C'est également ce caractère qui est utilisé lorsque le texte dit que le maître Guo yunshen perça les secret du Yiquan. La boxe dont il est alors fait mention n'est pas la boxe de l'intention (意拳), un nom qui se substituait parfois au terme "boxe de la forme et de l'intention" (形意拳), mais bien la boxe de la justice (义拳), un terme que l'on ne trouve nul part ailleurs.
Autre fait étonnant quand au texte gravé sur cette stèle : Le peu de date dont elle est porteuse. Le maître Li ziming souhaitait la retrouver pour en retirer un certain nombre d'information dont la date de naissance et de décès de Guo yunshen. Or, aucune de ces dates n'y figure. Il est parfois difficiles de retrouver les dates exactes des maîtres de cette période de l'histoire du fait du passage de l'ancien système de datation en vigueur sous la cour des Qing au système de datation en vigueur sous la première république puis au système actuel, qui prit le relais après l'avènement du gouvernement nationaliste. Les conversions successives créèrent souvent des erreurs de datation qui furent transmises jusqu'à nos jours. Ainsi, personne ne peut affirmer en quelle année le maître Guo yunshen trépassa. Plusieurs dates sont probables - 1898, 1901, 1907 - mais aucune n'est certaine. La seule date figurant sur la stèle est celle de son inauguration, qui eut en 1932, donc lieu bien des années après la mort du maître.
Coup de poing Bengquan, par un pratiquant du Hebei
descendant de la lignée Gu yunshen
Finalement le plus perturbant dans cette épitaphe est le manque de références aux faits héroïques qui auraient marqué la vie du maître Guo yunshen et qui sont encore transmis de bouche à oreille au sein des lignées issues de son enseignement. Car la vie de Guo yunshen semble avoir été digne d'un roman avec son implication dans le métier des maîtres-escorteurs de caravanes, tout d'abord. Car on sait qu'il fut sollicité pour son expertise en l'art martial par des compagnies d'escorteur de fond dont, notamment celle du maître Li yaochen, la société Baguahui. Ensuite, son incarcération (ou plutôt assignation à résidence) à la suite du meurtre du brigand Dou xianjun. Puis son invitation à enseigner à la cour des Qing à la suite de cette affaire, d'abord auprès d'un noble mandchou, puis, après 1877, comme instructeur militaire !
Au final le maître Guo yunshen demeure une figure emblématique de son époque pour le Xingyiquan. La maxime “Avec son coup de poing Bengquan en demi-pas, il peut renverser n'importe qui sous le ciel" (半步崩拳打天下) encore connue de nos jours, l'a bien fait passer à la postérité et rentrer dans le cercle restreint des maîtres "Immortels", tel que le voulait celui qui à fait graver cette stèle...