Interview de Gao tieniao (2e partie)


 

Deuxième partie de l'interview du maître Gao tieniao de Shanghai réalisée par le Stockholm Wushuguan et que j'ai traduit de l'anglais (pour lire l'interview originale en anglais, cliquez ici



Stockholm Wushuguan : Pouvez-vous nous en dire plus sur les pratiques du maître Pei xirong ? 

 

Gao tieniao : Maître Pei a dédié toute sa vie aux art martiaux chinois, ses connaissances étaient vastes et profondes. Il maîtrisait le Shaolin Wuxingquan (NDT : le texte original cite le dragon, le tigre, la grue, le léopard et le coq mais les cinq formes animales de Shaolin seraient en fait dragon, tigre, grue, léopard et serpent), le Yinzhuaquan (boxe des serres de l’aigle), le Mizongquan (boxe de la trace perdue), le Bajiquan (boxe des huit extrémités ainsi que plusieurs armes. Il était très gentil et c’était une personne sincère, toujours ouvert aux discussions sur les autres pratiques et les autres styles avec d’autres maîtres. Il pratiquait essentiellement le Wudang Neijia (les styles internes de Wudang), le Xingyiquan, le Baguazhang et le Taijiquan.

 

Maître Pei Pensait que Wudang était la source originelle de l’art martial interne puisqu’il combine la puissance du Xingyi, la force transversale du Bagua et le Huajin (force de transformation) du Taiji. L’art martial de Wudang est un art martial classique et tient une place importante dans les arts martiaux chinois.

 

Le Xingyi de maître Pei était dur mais pas rigide, son Taiji était souple mais pas mou, comme une feuille d’orchidée, « tendre mais pas avec une ossature qui la maintient en une pièce ». Je me souviens que lorsque l’on pratiquait les poussées de main avec le maître, il était quasiment impossible de plier son bras. Son corps et ses bras n’étaient pourtant pas tendu le moindre du monde, sa force et son énergie n’étaient pas celles d’un homme de son âge. On pouvait sentir le Jin (la puissance) de son corps et quoi que l’on essaye de faire, il parvenait à neutraliser notre force avant que l’on ait même eu le temps de démarrer notre mouvement. 

 

Les dernières années de sa vie, il s’était concentré sur l’étude de la théorie du Taoïsme et sur la façon dont la méditation et l’alchimie interne pouvaient améliorer le système immunitaire ainsi que le bien être spirituel de chacun. Il pensait qu’un artiste martial se devait de cultiver sa personne selon l’idéal taoïste dans les aspects tels que la vertu, l’esprit, le caractère, les pensées et le comportement. Que c’était là la part la plus importante de la pratique de l’art martial.

 

SWG : Pouvez-vous nous raconter quelques anecdotes sur la pratique de maître Pei ? 

 

GTN : Maître Pei tenait ses pratiques de Wudang du supérieur des monts Wudang, Xu benshan. Une partie de cet enseignement est le Taiji Yuangong, qui met l’accent sur sur le travail interieur (Neigong) par la pratique du Zhanzhuang (Posture statique) et du Qigong. Le praticien échange le Qi du Yin et du Yang et garde son Qi en mouvement constant dans son corps de manière à améliorer la flexibilté de ses organes internes. Une autre part de ce travail est le Wudang Taijiquan. Il regroupe les principes du Jin en 3 dimensions avec toute la théorie du Taiji. Les mouvements peuvent également être utilisés pour l’auto-défense en neutralisant les attaques dures par des mouvements souples. LE plus intéressant dans ces deux styles est qu’ils contiennent la combinaison complète du Yin et du Yang, du dur et du souple, du mouvement et de l’immobilité, de l’ouverture et de la fermeture, de l’inspiration et de l’expiration, du travail sur les organes internes et sur les muscles et le corps. Ils sont également très précis sur la façon dont il faut utiliser la combinaison de la force souple (Jin) et dure (Li). 



 

Le maitre Gao tieniao corrigeant un élève dans sa forme de Taijiquan


SWG : Pensez-vous qu’il y ait des différences entre l’enseignement de l’art martial d’aujourd’hui et de l’époque où vous l’avez étudié ? 

 

GTN : De nos jours, il y a presque essentiellement deux façons d’apprendre l’art martial. L’une est d’aller dans une école d’état et l’autre est d’apprendre directement auprès d’un maître. Le gouvernement a mis sur pied des instituts et des universités pour y enseigner des connaissances assez étendues, de l’anatomie à l’éducation physique et sportive. Leur pratique se concentre sur les fondamentaux (jibengong), ils ont de solides connaissances dans les théories contemporaines. L’autre façon d’apprendre est détachée des organisations gouvernementales, il s’agit alors de devenir le disciple d’un vieux maître, de suivre leur enseignement traditionnel qui leur a été transmis selon une lignée.

 

Lorsque j’étais jeune, les arts martiaux chinois étaient assez critiqués. La révolution culturelle a eu une très mauvaise influence sur l’art martial. De nombreux maîtres célèbres ne pouvaient plus enseigner publiquement et se permettaient même plus de prendre d’élèves. Certains maîtres à l’ancienne furent influencés par une culture de gangster (NDT : les sociétés secrètes) et devinrent très conservateur dans leur transmission. Les maîtres et leurs disciples ne pouvaient pas véritablement continuer à entretenir une relation proche et sincère. 

 

De nos jours, l’environnement est à nouveau favorable à l’étude de l’art martial. Maintenant le gouvernement fait même sa promotion de les maîtres sont plus enclin à enseigner librement. On peut trouver de bons professeurs et des salles d’entrainements un peu partout et, en plus, il existe quantités de livres et de vidéos sur le sujet.

 

Mais, comme les jeunes de la nouvelle génération ont une vie plus facile avec un large choix de leurs loisirs et activités. L’art martial représente donc pour eux une simple forme d’exercice physique parmi tant d’autres et, du coup, ils ne pratiquent plus aussi durement qu’à mon époque. Alors que nous même ne pratiquions déjà pas aussi durement que nos propres maîtres qui, eux, devaient vivre de leur art ! Je suis souvent déçu de me dire que nous n’atteindrons certainement jamais le niveau qu’ils avaient réussi à atteindre.  


 


Le maitre Gao tieniao pratiquant le Taijiquan au parc du peuple à Shanghai 
(photo personnelle, droits réservés)




SWG : Quelles genres d’attentes avaient les anciens maîtres envers leurs élèves et disciples ? 

 

GTN : Leurs attentes étaient, en général, assez élevées. Ils n’enseignaient souvent rien de bien sérieux tant que l’élève n’était pas devenu leur disciple officiellement. Les élèves, les disciples et les disciples officiels étaient trois rangs de proximité dans la relation maître-disciple. Les exigences qui étaient requises pour prétendre à devenir un disciple officiel étaient les plus élevées qu’il soit et incluaient des qualités morales, physiques et intellectuelles.

 

SWG : Comment définiriez-vous les arts martiaux chinois internes et externes ? Quelles est la différence ? Quelle différence cela fait-il sur les capacités d’auto-défense ? 

 

GTN : C’est une question difficile à aborder. Étant toujours des arts martiaux, ils ont tous deux le même but. Mais ils viennent de deux cultures et religions, le taoïsme et le bouddhisme, et donc ils utilisent des façons différentes d’aborder le sujet et de se présenter. On dit que les pratiques externes renforcent le corps et les pratiques internes renforcent le Qi. Le premier se concentre sur le côté physique et répond à la force physique par la force physique, en se prémunissant des attaques par d’autres attaques agressives. Le second se concentre sur le Qi interne et résiste à la force par des mouvements doux, répondant aux attaques par l’esquive et le contrôle. La différence la plus signifiante étant, en réalité, que les boxes internes ont une théorie et une philosophie complète pour guider le pratiquant dans son apprentissage alors que les boxes externes n’en ont pas.

 

SWG : Quelle est la différence entre le fait de se concentrer sur le Qi ou sur la force externe (Li) ?

 

GTN : Dans la pratique, on se focalisent plus sur le Qi si on s’entraine à un style interne et sur la force physique si on s’entraine à un style externe. Mais quoi qu’il en soit, que ce soit en interne ou en externe, on fait une distinction entre le Qi et Li (force physique). Les arts internes recherchent une combinaison d’utilisation du Qi, du Jin (puissance), et du Li (force physique), qui théoriquement combine l’utilisation du cœur (xin), de l’intention (yi), du Qi, du Jin et de la force physique (Li).



Le maître Gao tieniao pratiquant le Xinyiliuhequan 
dans un parc à Stockholm


 

SWG : Si on pratique l’art martial interne ou externe, est-ce-que les résultats seront les mêmes en pratiquant de façon équivalente ?

 

GTN : Je ne pense pas que l’on obtiendra les mêmes résultats. D’abord, ils ont des structures de mouvements qui sont différentes. Vous ne serez certainement pas très fort après trois ans de pratique du Taijiquan alors que je suis certains que vous pourrez très bien vous débrouiller en boxe de Shaolin après seulement un an de pratique. Deuxièmement, ils ont une « durée de vie » différente. On peut pratiquer l’art martial interne toute sa vie durant alors qu’il faudra probablement abandonner l’art martial externe arrivé à un certain âge, lorsqu’on n’a plus assez d’énergie pour s’y adonner.

 

SWG : Quels sont les qualités nécessaires à la pratique du Neijia (art interne) ?

 

GTN : Je pense que le plus important est de se focaliser sur la pratique de base comme les mains, les paumes, les yeux, le corps, les déplacements. Deuxièmement, le plus important c’est le travail interne (Neigong) : le cœur (xin), l’intention (Yi), le souffle vital (Qi), l’essence vitale (Jing), l’esprit (Shen), la puissance interne (Jin) et la force externe (Li). On est également supposé avoir une pratique plus personnalisée, basée sur les exigences du style pratiqué. 

 

SWG : Il existe de nombreux exercices autres que la pratique des enchainements (Taolu) dans les systèmes complets des écoles internes, pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ? 

 

GTN : Les arts martiaux chinois sont très profonds. Il existe tellement de styles différents et tous ont leur propres théories et exigences dans la pratique. De mon point de vue, que ce soit interne ou externe, les nécessités les plus basiques pour leur pratique sont la flexibilité, les postures gongbu et mabu (posture de l’arc et du cavalier), les mouvements corrects des mains, des déplacements, du corps et du regard également.

 

Deuxièmement, On se focalise sur diverses nécessités en fonction de la forme que l’on pratique. Par exemple, lorsque l’on pratique un style interne, à part la base que je viens de mentionner, il faut également pratiquer la respiration, les postures, expérimenter divers Jin et forces explosives, la coordination interne du cœur, de l’intention et du Qi ainsi que la coordination externe des épaules, des coudes et des Kua (articulation coxo-fémorale).

 

De plus, il faut être clair sur les raisons qui nous poussent à pratiquer : Est-ce que c’est la recherche de performance, la self-défense ou l’entretiens de la santé ? C’est très important pour savoir sur quoi on doit se concentrer dans sa pratique. 

 

SWG : Est-ce important de connaitre les applications pour la self-défense lorsque l’on pratique ?

 

GTN : Dans la société civilisée dans laquelle nous vivons, le but des gens est devenu de vivre longtemps et en bonne santé. L’art martial est plus focalisé sur la préservation de la santé que sur les applications techniques pour l’auto-défense. Les styles internes et les pratique de Wudang sont alors parfaits si l’on est dans cette recherche. On n’obtient pas seulement des bénéfices physiques de la pratique du Taijiquan, cela mène également à un bien être mental par la profonde philosophie chinoise qui est la sienne. Ça n’est pas limité par des équipements ou des installations, par l’âge du pratiquant ou par le nombre de pratiquants. C’est quelque chose que l’on peut pratiquer toute sa vie durant, sans limite d’âge. Mais, bien que l’utilité des styles internes pour la self défense soit moins importante qu’auparavant, ça reste une partie essentielle dans l’apprentissage. Un pratiquant de l’art martial interne va, en principe, répondre à la morale et à la philosophie de vie taoïste donc il n’attaquera pas les autres tant qu’il ne se trouve pas dans une situation d’extrême danger et donc c’est bien la fonction d’auto-défense qui sera la plus utile.




 

Application pratique sur un élève suédois du maître Tao tieniao





SWG : Mais est-ce que c’est véritablement important de connaitre les applications martiales pour pratiquer l’école interne correctement et en retirer tous les bénéfices ?

 

GTN : C’est très important, bien sûr, et je pense que c’est le cœur de l’art martial. Ça aide à mieux comprendre les mouvements. Sans cette connaissance, on ne pratique qu’une sorte de dance, en quelque sorte.

 

SWG : Y a-t-il des conditions primordiales pour pratiquer l’art martial ?

 

GTN : Je pense qu’il y a quatre conditions importantes pour les pratiquants de l’art martial : Une bonne méthodologie, un bon professeur, une aisance financière pour financer l’apprentissage, des partenaires de pratique qui partage le même point de vue que nous et un bon lieu de pratique. Donc, On progressera nettement plus si l’on a un partenaire de pratique avec lequel on peut échanger et travailler les applications. 

 

SWG : Pensez-vous qu’il est nécessaire d’avoir pratiqué l’art martial externe avant de démarrer l’étude de l’interne ? 

 

GTN : Que ce soit externe ou interne, vous devez connaitre le but de votre pratique et savoir quel niveau vous visez. Il y a trois temps pour la pratique du Jing, du Qi et du shen. C’est mieux de pratiquer le Jing lorsqu’on est jeune, le Qi à un âge moyen et le shen lorsque l’on est âgé. Donc si on souhaite atteindre un haut niveau de pratique je pense que la pratique de l’art externe à un jeune âge est nécessaire. On y trouve de nombreux moyen de développer des habilités basiques comme les jambes, la taille, les sauts, la vitesse et la vivacité du corps.

 

SWG : Quel est le but de la pratique des armes ?

 

GTN : Les armes étaient des outils très importants en temps de guerre. C’est important de choisir l’arme qui nous convient le mieux. Et il est préférable de connaitre les caractéristiques et les fonctions d’une arme avant d’en démarrer la pratique. De nos jours, la pratique des armes a surtout vocation à développer l’agilité du pratiquant et à enrichir le contenu de la forme qu’il étudie. 

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