Jianwu : l'expression libre
Une des pratiques qui peut caractériser le Yiquan / Dachengquan est sans aucun doute la forme libre ou Jianwu, souvent traduit par "danse de la boxe".
Le terme "danse" n'est pas à prendre au premier degré, puisque le caractère chinois wu (舞) évoque le fait de bouger de manière harmonieuse. Le caractère Jian (健), quand à lui, fait référence à la force et à la robustesse, synonyme de santé et de vigueur...
Cette pratique existe en Chine depuis des temps reculés. Des gravures sur terres cuites de personnages dans des danses rituelles datant de 1100 avant notre ère viennent le confirmer.
Au sein de l'art martial, c'est plus tard dans l’histoire de la
Chine, pendant les dynasties Han (206 AE - 220) qu'une forme d’enchaînement libre
voit le jour. Ces « danses martiales », qui se pratiquent avec ou
sans armes, n’ont, à priori, aucun lien avec les danses que les ancêtres
chinois exécutaient dans la culture des Zhou. Par contre, la qualité des
mouvements de l’enchaînement ainsi que la capacité à manier une arme est évoqué
dans certains textes de l’époque, ainsi que la transmission du savoir faire de
maître à disciple.
Il existe d'ailleurs un poème du célèbre Du fu intitulé "En contemplant une disciple de dame Gongsun exécuter une danse à l'épée" (觀公孫大娘弟子舞劍器).
Dans une préface à cette oeuvre littéraire chinoise, le poète nous compte l'origine de ces lignes :
"Le 19 octobre de la deuxième année de l'ère Dali (766-779), à la maison de Yuanchi, l'officiel de Kueifu, j'ai regardé une jeune femme, Li de Lingying, exécuter une danse de l'épée dont les déplacements étaient impressionant de puissance. J'ai demandé qui était son professeur et elle me répondit : "Je suis une disciple de Dame Gongsun." ..."
Ce poème date de la dynastie Tang et prouve que ces pratiques avaient perduré pendant plusieurs siècles. On les retrouve encore de nos jours sous une forme artistique au sein de l'opéra traditionnel chinois.
Le disciple de Wang xiangzhai Ma jiliang exécutant le jianwu. Ma jiliang a vécu jusqu'à l'age de 90 ans
Wang xiangzhai, dans son ouvrage
« Les véritable principes du Yiquan » (yiquan zhenggui), nous
explique l’origine des formes libres telles qu’elles sont pratiquées au sein du
Yiquan :
« Pendant les dynasties Sui et
Tang, le jianwu était très répandu. A cette époque, il était une méthode de
préservation de la santé ainsi qu’un entraînement pour le combat. Détenu par
les maîtres de l’art martial, il fut transmis à des lettrés qui étudiaient
également les arts militaires. Ainsi, de nombreuses personnes l’étudièrent et
de nombreuses transmissions se répandirent. A notre époque, l’artiste martial
Huang muqiao a hérité de cette transmission.
J’ai personnellement étudié son
école il y a plusieurs années. Cherchant à approfondir la question des gravures
datant de la dynastie Tang trouvées dans les grottes de Dunhuang ainsi que les
terre cuites de la même époque représentant des hommes dans certaines
gestuelles de danse. Ces dessins seraient, en fait, inspirés de postures du
quanwu. Au moment où eu lieu la Beifa ("expédition vers le Nord", un évènement marquant de l'histoire de la Chine) j’ai voyagé dans le sud, à Huainan précisément, afin de rencontrer monsieur
Huang muqiao, dans le but d’étudier cette école.
Je suis reparti après avoir
approfondi, tant techniquement que théoriquement, le sens véritable du jianwu.
De ceux qui ont étudié jadis sous ma direction, une dizaine seulement ont atteint le niveau de compréhension des subtilités du jianwu. »
De tous ses disciples, Han xingqiao était, aux dires de Wang xiangzhai, celui qui maitrisait le mieux le Jianwu. Il est décédé en 2004, à l'âge de 96 ans
Il existe 4 formes de jianwu : Le
flux des vagues, le dragon qui nage, la grue qui joue dans l’eau et le serpent
effrayé. Certains experts y ajoutent une cinquième forme, complètement libre : le grand
souffle (Daqi).
Wang xiangzhai disait
souvent : « Les conditions préalables a l’étude du quanwu consistent
en la pratique du zhanzhuang pour emmagasiner le qi. Par cette pratique, on
complète quatre conditions qui en constituent l’extrême
approfondissement :
1. Le
corps entier donne l’impression de couler ou de fondre.
2. Tout
le corps est comme remplit de plomb.
3. Les
muscles de tout le corps ne font plus qu’un.
4. Les
poils et les cheveux sont dardés comme des lances pointues.
Sans ces quatre conditions il est
difficile de pouvoir exécuter, ne serait ce qu’un mouvement du quanwu. Si ces
quatre exigences sont remplies, le mouvement vient alors naturellement. »
Ces quelques mots du fondateur nous
éclairent sur l’origine du jianwu ainsi que sur l’évolution du disciple du
Yiquan.
Démonstration du Jianwu par le maître Li jianyu, autre disciple de Wang xiangzhai, aujourd'hui âgé de 90 ans
C'est le travail de base du Yiquan qui permet de
réaliser les formes libres. Cette pratique
constituant pour Wang xiangzhai l’apogée de la fusion du corps et de l’esprit (les six harmonies internes et externes). Elle est également le véritable sens profond des
boxes imitatives, se référant à l’approche spirituelle et non purement
gestuelle. Son lien avec la pratique du Yangshenggong ou travail de "nourrir le principe vital" est plus qu'évident...